J’ai longtemps lu pour m’imprégner d’autres mondes, d’autres personnages dans lesquels mes émotions trouvaient un reflet, un écho, un partage. Je pouvais alors me laisser aller à les vivre pleinement, dans ma solitude assumée de lectrice. Toujours, cela réconfortait mes questionnements, les légitimait. Je me sentais davantage partie prenante d’une foule d’humains, vaquant fébrilement à leurs occupations, tentant d’esquiver, de compenser, d’occulter ces éternelles questions, toujours sans réponse. Pourquoi vivons-nous ? Quel est le but de notre finitude ? Avons-nous toujours le libre arbitre sur le chemin de nos vies ? Lire, m’a permis de savoir que chacun d’entre nous, et pas seulement dans les romans, étions habités, motivés, paralysés par nos émotions. Je me sentais moins seule. C’est ça.
Lire a toujours été ma bouée de sauvetage. Mon havre. Une obsession. Je dévorais. Pourquoi alors, depuis quelques temps, je ne sais plus lire ? Je pèse mes mots. Le livre, le bon livre m’a délaissée. Car, c’est évident, autrefois, je choisissais aisément un livre grâce aux premiers mots de celui-ci qui m’interpellaient comme un aimant auquel il est impossible de résister. J’avais hâte d’entrer dans les pages et de me gaver d’impressions. J’ai toujours été attirée par les histoires vraies. Les biographies. Un peu comme une voyeuse, je voulais comprendre ce qui, chez l’être humain, avait motivé son parcours, sa détermination, ses exploits, sa résilience. Bien sûr, plus jeune, j’ai plongé dans des romans, des recueils de poésie, pour la musique des mots, pour les images, pour laisser flotter un souffle inconnu de moi et qui me ravissait à chaque fois. J’avoue que la poésie dite « contemporaine » avec ses mots hachurés, écartelés, sans mélodie, sans rapport esthétique entre eux, sans métaphore, un peu comme des êtres disloqués, inadaptés, ne m’a jamais interpellée. Au contraire. Je les trouve d’une tristesse infinie.
Lire pour vivre. C’était mon essentiel. Aujourd’hui, je tente de comprendre pourquoi je n’arrive plus à me laisser happer par les livres. Déboussolée. Orpheline. Mon âme s’est-elle aigrie ? Aurais-je succombé aux médias sociaux, aux séries télévisées qui vous catapultent des histoires rebondissantes dont on a toujours hâte de connaître le dénouement ? Ce qui est étrange c’est que, autant je peux être accrochée à mon écran, fébrile, avide de voir la dernière image, autant, le lendemain, je me souviens à peine de l’intrigue. Rarement suis-je impactée par ces épisodes comme je pouvais l’être au terme de la lecture d’un livre dont l’effluve me suivait longtemps. Quel est ce phénomène ?
Tout ce que je sais, c’est que j’ai l’impression de me gaver d’images, d’inonder mon esprit d’une multitude de sujets, sans que jamais, ou très rarement, ils ne touchent mon cœur à la manière d’un livre. Seuls les mots ont le don de tracer un sillon au cœur de l’âme, de l’imprégner, de la nourrir.
Je suis triste devant ce constat. Il y a tant de bons écrivains, de bons livres que je me promettais de dévorer, sachant que je n’aurais pas assez d’une vie. Je n’y arrive plus. Que s’est-il passé ?
La suite dans le prochain article.