À force de créer des projets, de les mener, parfois à bout de bras, quand vient le temps de l’accalmie, il m’arrive de me sentir perdue, même mélancolique, voire angoissée. J’ai pris l’habitude de remplir ma vie de projets porteurs qui me donnent de la joie. Alors, quand, durant les fêtes, le rythme change pour laisser la place aux retrouvailles familiales et amicales, au plaisir de cuisiner pour ceux que j’aime, cela me transporte dans un univers fait de câlins, de bons vins et de bonne chère, sans oublier les cadeaux
et le plaisir de faire plaisir. Une abondance d’attentions qui font du bien. Mais, l’après-fête, me laisse toujours un goût de trop peu, lorsque je reviens à ma réalité quotidienne.
Le contraste entre les relations humaines et ma vie d’écrivaine qui, habituellement, se délecte de sa solitude, suscite en moi cette question : « Que veux-tu vraiment dans la vie ? ». Question simple dont la réponse est complexe. Car, ce que l’on désire ne se présente pas toujours tel qu’on le souhaite. Parmi mes résolutions, j’étais bien décidée à laisser venir les surprises de la vie. Mais le moule mental refait surface à mon insu, bien ancré dans mes croyances. Écrire. Oui. Vendre mes livres. Accompagner d’autres personnes désireuses d’écrire. Pourquoi alors cette tristesse latente ? D’où vient cette étrange voix qui insinue que ma vie n’est pas idéale. Celle que j’ai pourtant choisie ? Celle qui, jusqu’à présent, a répondu à mes envies de créer, de communiquer. Bien installée tout au fond de mon âme, dans un coin que je croyais libérée, il me revient ces idées de trahison, d’abandon. Cette phrase assassine aussi, d’une psychologue, qui déclarait : « Vous aurez toujours ce vide en vous, cette mélancolie issue de votre passé
et cette souffrance d’avoir été abandonnée malgré tous vos efforts. »
Choquée, j’avais pris le taureau par les cornes en me disant, tout comme dans mon enfance, que
j’organiserais ma vie pour qu’elle me procure de la joie, de la fierté.
Aujourd’hui, après tous les succès accomplis, cette petite voix insidieuse me rappelle à l’ordre. Non, je n’ai pas tout effacé de ce passé douloureux. Mais je suis loin de faire marche arrière. Cette voix, finalement, est une amie qui m’invite à revoir le sens que j’accorde à mon existence. Car il n’y a que moi qui puisse le faire. Pourquoi alors toujours avoir le réflexe de vouloir qu’un ami soit à mon secours. Sans doute parce que c’est légitime. Mais de là à souffrir comme si mon monde allait s’écrouler, il y a des limites.
On dirait que la vie est comme un élastique. Elle rebondit sans cesse. Peut-être pour nous garder alerte et ne pas somnoler dans un confort sans horizon, sans audace, sans questionnement qui serait, je l’avoue, bien insipide. Mais pourquoi est-ce si déstabilisant de tenter d’accepter simplement ces contrastes, ces remises en question douloureuses, comme de simples vagues qui éclaboussent et frétillent avant de se fondre dans l’océan ? Sans doute parce que la vie est une quête d’équilibre. On le cherche, jamais on ne le trouve vraiment. Rien n’est figé. Tout est question de passages, d’accueil, de vulnérabilité, de foi en ce qui se présente, comme le vent du large, avec ses douces brises et ses claques violentes. Le navire tangue, certes, mais il avance aussi.
Rosette Pipar